Ail et chien : partout sur le Web, il est fortement recommandé de ne pas donner de l’ail à son chien. Ceci sur le Web français, voire européen. C’est un autre refrain sur le Web anglo-saxon où l’ail est mis en avant pour nombre de bienfaits pour la santé du chien.
Nous avions déjà fait un article sur le sujet “AIL POUR LE CHIEN : poison ou remède naturel ?” qui était nettement positif en faveur de l’ail. Nous avons demandé à Swanie Simon de faire le point scientifique actualisé sur le sujet : l’ail est-il un poison pour le chien ?
Swanie Simon est herboriste et naturopathe pour animaux, de réputation internationale. Elle enseigne l’herboristerie, la médecine traditionnelle vétérinaire chinoise et la nutrition pour chiens et chats depuis 2005 en Allemagne et dans le monde anglo-saxon. Elle anime aussi des classes en ligne sur le net depuis 2014. Nous la remercions pour avoir accepté de publier sur notre site cette mise au point scientifique sur l’absence de danger de l’utilisation normale de l’ail pour le chien.
Quelques mots sur l’alimentation du chien et l’ail
Les propriétaires de chiens m’écrivent sans cesse pour m’informer du danger de donner de l’ail aux chiens. Quelques études scientifiques ont déterminé que les plantes de la famille des allium, en particulier les oignons et l’ail, pouvaient être toxiques pour les chiens. Qu’en-est-il vraiment ?
Ces rapports sur les espèces d’allium potentiellement toxiques pour les chiens ont été adoptés et diffusés par de nombreux sites Web d’animaux de compagnie sans aucune réflexion critique ou analyse des études mentionnées ci-dessus. Il en est résulté une certaine hystérie à l’égard de “l’alimentation des chiens avec ail”. La rumeur sur le Web, vous connaissez ?
Que disent les études sur la toxicité de l’ail pour le chien ?
En lisant le texte intégral des études supposées pertinentes(1), cependant la situation n’est pas aussi noir et blanc que certains sites Web pour animaux de compagnie essaient de le faire croire. Nous avons donc repris les mêmes études connues pour être à l’origine de ces rumeurs et nous les avons réétudiés dans le détail.
Il faut déjà savoir que certaines substances toxiques agissent comme oxydants lorsqu’elles pénètrent dans l’organisme et peuvent “submerger” les capacités anti-oxydantes des globules rouges.
L’ail, l’oignon, l’ail des ours et d’autres alliacées contiennent en effet des composés soufrés qui peuvent réduire la quantité d’enzyme glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD), dont le rôle est de protéger les parois cellulaires des globules rouges. Ces oxydants oxydent ensuite l’hémoglobine, endommageant les globules rouges et déclenchent la formation des corps de Heinz.
Les corps de Heinz sont essentiellement des agrégats d’hémoglobine endommagée, résultant d’une exposition à des niveaux élevés d’oxydants. La perte de globules rouges finit par entraîner une anémie, en l’occurrence l’anémie à corps de Heinz, car dans ce cas la perte de globules rouges est due à la formation des corps de Heinz.
A terme, si ce processus se poursuit, la réduction du nombre de globules rouges pourrait, avec le temps, entraîner une anémie grave et la mort de l’animal. Et ceci à cause de la formation des corps de Heinz.
(1) Lee et al., 2000 ; Hu et al., 2002 ; Yamato et al., 2003 ; Cope, 2005
L’anémie à corps de Heinz
L’anémie à corps de Heinz est classée comme anémie régénérative, ce qui signifie simplement qu’elle se résorbera d’elle-même en quelques jours lorsque les toxines causales (en l’occurrence les oignons ou l’ail) seront éliminées du régime.
En plus des oignons, de l’ail ou autres alliacées, les autres causes de l’anémie à corps de Heinz chez le chien peuvent être l’exposition à la vitamine K3 (ménadione), au naphtalène, au propylène glycol, à la benzocaïne, au bleu de méthylène, à la phényl-hydrazine, à l’acétaminophène et au contact excessif au cuivre ou zinc.
Chez le chat, l’anémie à corps de Heinz peut être provoquée par les mêmes toxines que celles énumérées ci-dessus, ainsi que par la phénacétine, la phénazopyridine, le propofol, les régimes à base de saumon et les aliments contenant des oignons ou de l’ail en poudre.
Les chats atteints d’hyperthyroïdie, de diabète, d’insuffisance rénale et de lymphome sont également plus susceptibles de former les corps de Heinz. Les chats en bonne santé ont tendance à avoir jusqu’à 10% de corps Heinz dans leur sang à tout moment en raison de l’inefficacité de leur rate à enlever les corps de Heinz et de la sensibilité accrue de leur hémoglobine aux dommages oxydatifs.
Contrairement au sang de chat, le sang canin ne contient normalement pas de corps de Heinz.
La toxicité : comment a‑t-elle été établie ? La théorie
Pour voir ce que tout cela signifie dans un sens pratique, regardons d’abord les études faites sur la toxicité de l’ail et l’oignon.
Dans les études utilisant des oignons, des changements hémolytiques se sont produits après l’ingestion de 15 à 30 g d’oignons/kg de poids corporel/jour et un effet toxique a été observé seulement après l’administration de plus de 50 g d’oignons/kg de poids corporel/jour (sur au moins 2 jours) (Cope, 2005). Dans cette étude, les chiens (5 Pékinois) ont développé une anémie hémolytique après avoir reçu une dose toxique d’oignons pendant plusieurs jours.
Une autre étude (Yamato et al. 1998) a montré que certaines races orientales sont particulièrement susceptibles de développer l’anémie à corps de Heinz. Les anémies provoquées dans ces études étaient toutes réversibles.
Dans une étude sur l’ail (Lee et al. 2000), on a observé ce qui semblait être des “changements” dans les globules rouges seulement s’il y avait administration de plus de 5 g d’ail/kg de poids corporel/jour. Mais aucun des chiens de cette étude n’a développé une anémie hémolytique. De plus, les changements observés dans les globules rouges étaient réversibles en très peu de temps.
Dans une autre étude portant sur divers extraits d’ail, on a observé des changements dans les globules rouges seulement après l’administration d’une quantité de 1,5 ml d’extrait d’ail/kg de poids corporel/jour. Apparemment, la forme de l’ail – extrait, frais, séché – joue un rôle important.
Les chiffres pratiques, pour comprendre les aberrations de l’interprétation de la théorie
Pour mettre les choses en perspective, dans mon plan diététique, je recommande une gousse d’ail fraîche pour un chien de 30 kg jusqu’à 3 fois par semaine.
Une grosse gousse d’ail frais pèse environ 3 g. Cela représente 1/10000ème du poids corporel d’un chien de 30 kg, ou 0,1 g d’ail/kg de poids corporel par “dose” d’une gousse. Ou encore 0,3 g d’ail/kg de poids corporel par semaine.
La dose toxique ( “changements” dans les globules rouges – Lee et al. 2000) est de 5 g d’ail/kg de poids corporel/jour, soit 35 g d’ail/kg de poids corporel/semaine ou encore 1050 g d’ail par semaine pour un chien de 30 kg.
Or selon mon plan d’alimentation, un chien de 30 kg recevrait 3 gousses d’ail frais par semaine, soit un maximum de 9g d’ail par semaine.
En résumé, la toxicité pour le chien apparaîtrait à une quantité 116 fois plus grande que la quantité préconisée par mon plan diététique. Pour un chien de 30 kg de notre exemple, cela signifierait ingérer 350 gousses d’ail ou plus de 1 kg d’ail par semaine !
Conclusion : ail et chien, un faux procès et une opportunité pour la santé du chien
Il n’est donc pas vraiment possible de provoquer une anémie hémolytique provoquant des dommages aux globules rouges à la dose que je recommande, ou même 10 fois cette dose (ce que bien sûr je ne recommande PAS). De toute façon, il est extrêmement improbable qu’un chien mange cette quantité d’ail ou, s’il en mangeait autant, ne la régurgite pas immédiatement.
Les propriétés bénéfiques sur la santé de l’administration de petites quantités d’ail frais l’emportent largement sur le risque de toxicité. Cela dit, l’ail est une plante médicinale précieuse et devrait être utilisée en conséquence.
Il n’est pas nécessaire de donner de l’ail sans raison. En particulier, il faut noter que l’ail ne fait pas grand-chose pour contrôler les ectoparasites (puces, tiques). C’est pourtant ce que certaines recettes préconisent contre les vers du chien.
Les oignons, par contre, ne devraient pas être donnés aux animaux de compagnie.
De plus, lorsque vous donnez de l’ail, utilisez toujours des gousses fraîches. Les extraits et les poudres d’ail sont beaucoup plus concentrés et peuvent causer des problèmes beaucoup plus facilement que l’ail frais entier.
Note
Les humains peuvent aussi avoir une anémie par corps de Heinz en consommant de grandes quantités d’alliacées (cela est aussi vrai pour les chevaux, et autres mammifères…). Mais les humains peuvent aussi largement profiter des avantages que peut procurer l’ail frais sur leur santé.
Swanie Simon
Références
- Hematologic changes associated with the appearance of eccentrocytes after intragastric administration of garlic extract to dogs. Am J Vet Res. 2000 Nov;61(11):1446 – 50.; Lee KW, Yamato O, Tajima M, Kuraoka M, Omae S, Maede Y https://avmajournals.avma.org/doi/abs/10.2460/ajvr.2000.61.1446 .
- An experimental study of hemolysis induced by onion (Allium cepa) poisoning in dogs. J Vet Pharmacol Ther. 2008;31(2):143 – 149. Tang X, Xia Z, Yu J.
- Isolation and Identification of Organosulfur Compounds Oxidizing Canine Erythrocytes from Garlic (Allium Sativum). Journal of agricultural and food chemistry. 50. 1059 – 62. 10.1021/jf011182z. Hu, Qiuhui & Yang, Qing & Yamato, Osamu & Yamasaki, Masahiro & Maede, Yoshimitsu & Yoshihara, Teruhiko. (2002).
- Induction of onion-induced haemolytic anaemia in dogs with sodium n‑propylthiosulphate. Vet Rec. 1998;142(9):216 – 219. Yamato O, Hayashi M, Yamasaki M, Maede Y.
- Allium species poisoning in dogs and cats. Vet Med. 2005:562 – 566. Cope RB. https://www.dvm360.com/view/toxicology-brief-allium-species-poisoning-dogs-and-cats
- Small Animal Clinical Diagnosis by Laboratory Methods, 5th Edition ; Michael D. Willard, Harold Tvedten. Publisher : Elsevier